Франція. Cinq mémoires sur l’instruction publique

 

Condorcet

Marquis de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat

 

Cinq mémoires sur l’instruction publique

 

Premier mémoire

 

Nature et objet de l’instruction publique

 

 

I. La société doit au peuple

une instruction publique :

 

1˚ Comme moyen de rendre réelle l'égalité des droits.

 

 

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L'instruction publique est un devoir de la société à l'égard des citoyens.

 

Vainement aurait-on déclaré que les hommes ont tous les mêmes droits ; vainement les lois auraient-elles respecté ce premier principe de l'éternelle justice, si l'inégalité dans les facultés morales empêchait le plus grand nombre de jouir de ces droits dans toute leur étendue.

 

L'état social diminue nécessairement l'inégalité naturelle, en faisant concourir les forces communes au bien-être des individus. Mais ce bien-être devient en même temps plus dépendant des rapports de chaque homme avec ses semblables, et les effets de l'inégalité s'accroîtraient à proportion, si l'on ne rendait plus faible et presque nulle, relativement au bonheur et à l'exercice des droits communs, celle qui naît de la différence des esprits.

 

Cette obligation consiste à ne laisser subsister

aucune inégalité qui entraîne de dépendance

 

Il est impossible qu'une instruction même égale n'augmente pas la supériorité de ceux que la nature a favorisés d'une organisation plus heureuse.

 

Mais il suffit au maintien de l'égalité des droits que cette supériorité n'entraîne pas de dépendance réelle, et que chacun soit assez instruit pour exercer par lui-même et sans se soumettre aveuglément à la raison d'autrui, ceux dont la loi lui a garanti la jouissance. Alors, bien loin que la supériorité de quelques hommes soit un mal pour ceux qui n'ont pas reçu les mêmes avantages, elle contribuera au bien de tous, et les talents comme les lumières deviendront le patrimoine commun de la société.

 

Ainsi, par exemple, celui qui ne sait pas écrire, et qui ignore l'arithmétique, dépend réellement de l'homme plus instruit, auquel il est sans cesse obligé de recourir. Il n'est pas l'égal de ceux à qui l'éducation a donné ces connaissances ; il ne peut pas exercer les mêmes droits avec la même étendue et la même indépendance. Celui qui n'est pas instruit des premières lois qui règlent le droit de propriété ne jouit pas de ce droit de la même manière que celui qui les connaît ; dans les discussions qui s'élèvent entre eux, ils ne combattent point à armes égales.

 

Mais l'homme qui sait les règles de l'arithmétique nécessaires dans l'usage de la vie, n'est pas dans la dépendance du savant qui possède au plus haut degré le génie des sciences mathématiques, et dont le talent lui sera d'une utilité très réelle, sans jamais pouvoir le gêner dans la jouissance de ses droits. L'homme qui a été instruit des éléments de la loi civile n'est pas dans la dépendance du jurisconsulte le plus éclairé, dont les connaissances ne peuvent que l'aider et non l'asservir.

 

 

L'inégalité d'instruction

est une des principales sources de tyrannie.

 

Dans les siècles d'ignorance, à la tyrannie de la force se joignait celle des lumières faibles et incertaines, mais concentrées exclusivement dans quelques classes peu nombreuses. Les prêtres, les jurisconsultes, les hommes qui avaient le secret des opérations de commerce, les médecins même formés dans un petit nombre d'écoles, n'étaient pas moins les maîtres du monde que les guerriers armés de toutes pièces ; et le despotisme héréditaire de ces guerriers était lui-même fondé sur la supériorité que leur donnait, avant l'invention de la poudre, leur apprentissage exclusif dans l'art de manier les armes.

 

C'est ainsi que chez les Égyptiens et chez les Indiens, des castes qui s'étaient réservé la connaissance des mystères de la religion et des secrets de la nature étaient parvenues à exercer sur ces malheureux peuples le despotisme le plus absolu dont l'imagination humaine puisse concevoir l'idée. C'est ainsi qu'à Constantinople même le despotisme militaire des sultans a été forcé de plier devant le crédit des interprètes privilégiés des lois de l'alcoran. Sans doute on n'a point à craindre aujourd'hui les mêmes dangers dans le reste de l'Europe ; les lumières ne peuvent y être concentrées ni dans une caste héréditaire, ni dans une corporation exclusive. Il ne peut plus y avoir de ces doctrines occultes ou sacrées qui mettent un intervalle immense entre deux portions d'un même peuple. Mais ce degré d'ignorance où l'homme, jouet du charlatan qui voudra le séduire, et ne pouvant défendre lui-même ses intérêts, est obligé de se livrer en aveugle à des guides qu'il ne peut ni juger ni choisir ; cet état d'une dépendance servile, qui en est la suite, subsiste chez presque tous les peuples à l'égard du plus grand nombre, pour qui dès lors la liberté et l'égalité ne peuvent être que des mots qu'ils entendent lire dans leurs codes, et non des droits dont ils sachent jouir.

 

2˚ Pour diminuer l'inégalité qui naît

de la différence des sentiments moraux.

 

Il est encore une autre inégalité dont une instruction générale également répandue peut être le seul remède. Quand la loi a rendu tous les hommes égaux, la seule distinction qui les partage en plusieurs classes est celle qui naît de leur éducation ; elle ne tient pas seulement à la différence des lumières, mais à celle des opinions, des goûts, des sentiments, qui en est la conséquence inévitable. Le fils du riche ne sera point de la même classe que le fils du pauvre, si aucune institution publique ne les rapproche par l'instruction, et la classe qui en recevra une plus soignée aura nécessairement des mœurs plus douces, une probité plus délicate, une honnêteté plus scrupuleuse ; ses vertus seront plus pures, ses vices, au contraire, seront moins révoltants, sa corruption moins dégoûtante, moins barbare et moins incurable. Il existera donc une distinction réelle, qu'il ne sera point au pouvoir des lois de détruire, et qui, établissant une séparation véritable entre ceux qui ont des lumières et ceux qui en sont privés, en fera nécessairement un instrument de pouvoir pour les uns, et non un moyen de bonheur pour tous.

 

Le devoir de la société, relativement à l'obligation d'étendre dans le fait, autant qu'il est possible, l'égalité des droits, consiste donc à procurer à chaque homme l'instruction nécessaire pour exercer les fonctions communes d'homme, de père de famille et de citoyen, pour en sentir, pour en connaître tous les devoirs.

 

3˚ Pour augmenter dans la société la masse

des lumières utiles.

 

Plus les hommes sont disposés par éducation à raisonner juste, à saisir les vérités qu'on leur présente, à rejeter les erreurs dont on veut les rendre victimes, plus aussi une nation qui verrait ainsi les lumières s'accroître de plus en plus, et se répandre sur un plus grand nombre d'individus, doit espérer d'obtenir et de conserver de bonnes lois, une administration sage et une constitution vraiment libre.

 

C'est donc encore un devoir de la société que d'offrir à tous les moyens d'acquérir les connaissances auxquelles la force de leur intelligence et le temps qu'ils peuvent employer à s'instruire leur permettent d'atteindre. Il en résultera sans doute une différence plus grande en faveur de ceux qui ont plus de talent naturel, et à qui une fortune indépendante laisse la liberté de consacrer plus d'années à l'étude ; mais si cette inégalité ne soumet pas un homme à un autre, si elle offre un appui au plus faible, sans lui donner un maître, elle n'est ni un mal, ni une injustice ; et, certes, ce serait un amour de l'égalité bien funeste que celui qui craindrait d'étendre la classe des hommes éclairés et d'y augmenter les lumières.

 

 

II. La société doit également une instruction publique relative aux diverses professions.

 

1˚ Pour maintenir plus d'égalité entre ceux qui s'y livrent.

 

 

 

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Dans l'état actuel des sociétés, les hommes se trouvent partagés en professions diverses, dont chacune exige des connaissances particulières.

 

Les progrès de ces professions contribuent au bien-être commun, et il est utile pour l'égalité réelle d'en ouvrir le chemin à ceux que leurs goûts ou leurs facultés y appelleraient, mais que, par le défaut d'une instruction publique, leur pauvreté ou en écarterait absolument, ou y condamnerait à la médiocrité, et dès lors à la dépendance. La puissance publique doit donc compter au nombre de ses devoirs celui d'assurer, de faciliter, de multiplier les moyens d'acquérir ces connaissances ; et ce devoir ne se borne pas à l'instruction relative aux professions qu'on peut regarder comme des espèces de fonctions publiques, il s'étend aussi sur celles que les hommes exercent pour leur utilité propre, sans songer à l'influence qu'elles peuvent avoir sur la prospérité générale.

 

2˚ Pour les rendre plus également utiles.

 

Cette égalité d'instruction contribuerait à la perfection des arts, et non seulement elle détruirait l'inégalité que celle des fortunes met entre les hommes qui veulent s'y livrer, mais elle établirait un autre genre d'égalité plus générale, celle du bien-être. Il importe peu au bonheur commun que quelques hommes doivent à leur fortune des jouissances recherchées, si tous peuvent satisfaire leurs besoins avec facilité, et réunir dans leur habitation, dans leur habillement, dans leur nourriture, dans toutes les habitudes de leur vie, la salubrité, la propreté, et même la commodité ou l'agrément. Or, le seul moyen d'atteindre à ce but est de porter une sorte de perfection dans les productions des arts, même les plus communs. Alors un plus grand degré de beauté, d'élégance ou de délicatesse dans celles qui ne sont destinées qu'au petit nombre des riches, loin d'être un mal pour ceux qui n'en jouissent pas, contribue même à leur avantage en favorisant les progrès de l'industrie animée par l'émulation. Mais ce bien n'existerait pas, si la primauté dans les arts était uniquement le partage de quelques hommes qui ont pu recevoir une instruction plus suivie, et non une supériorité que, dans une instruction à peu près égale, le talent naturel a pu donner. L'ouvrier ignorant ne produit que des ouvrages défectueux en eux-mêmes : mais celui qui n'est inférieur que par le talent peut soutenir la concurrence dans tout ce qui n'exige point les dernières ressources de l'art. Le premier est mauvais ; le second est seulement moins bon qu'un autre.

 

3˚ Pour diminuer le danger où quelques-unes exposent.

 

On peut regarder encore comme une conséquence de cette instruction générale, l'avantage de rendre les diverses professions moins insalubres. Les moyens de préserver des maladies auxquelles exposent un grand nombre d'entre elles sont plus simples et plus connus qu'on ne l'imagine ordinairement. La grande difficulté est surtout de les faire adopter par des hommes qui, n'ayant que la routine de leur profession, sont embarrassés par les plus légers changements, et manquent de cette flexibilité qu'une pratique réfléchie peut seule donner. Forcés de choisir entre une perte de temps qui diminue leur gain, et une précaution qui garantirait leur vie, ils préfèrent un danger éloigné ou incertain a une privation présente.

 

4˚ Pour accélérer leurs progrès.

 

Ce serait aussi un moyen de délivrer, et ceux qui cultivent les diverses professions et ceux qui les emploient, de cette foule de petits secrets dont la pratique de presque tous les arts est infectée, qui en arrêtent les progrès, et offrent un aliment éternel à la mauvaise foi et à la charlatanerie.

 

Enfin, si les découvertes pratiques les plus importantes sont dues en général à la théorie des sciences dont les préceptes dirigent ces arts, il est une foule d'inventions de détail que les artistes seuls peuvent avoir même l'idée de chercher, parce qu'eux seuls en connaissent le besoin et en sentent les avantages. Or, l'instruction qu'ils recevront leur rendra cette recherche plus facile ; elle les empêchera surtout de s'égarer dans leur route. Faute de cette instruction, ceux d'entre eux à qui la nature a donné le talent de l'invention, loin de pouvoir le regarder comme un bienfait, n'y trouvent souvent qu'une cause de ruine. Au lieu de voir leur fortune s'augmenter par le fruit de leurs découvertes, ils la consument dans de stériles recherches ; et en prenant de fausses routes, dont leur ignorance ne leur permet pas d'apercevoir les dangers, ils finissent par tomber dans la folie et dans la misère.

 

 

III. La société doit encore l'instruction publique comme moyen de perfectionner l'espèce humaine

 

1˚ En mettant tous les hommes nés

avec du génie à portée de le développer.

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