Франція. Cinq-Mars. Partie I

 

Alfred de Vigny

Cinq-Mars

Partie I

 

L’étude du destin général des sociétés n’est pas moins nécessaire aujourd’hui dans les écrits que l’analyse du cœur humain. Nous sommes dans un temps où l’on veut tout connaître et où l’on cherche la source de tous les fleuves. La France surtout aime à la fois l’Histoire et le Drame, parce que l’une retrace les vastes destinées de l’HUMANITÉ, et l’autre le sort particulier de l’HOMME. C’est là toute la vie. Or, ce n’est qu’à la Religion, à la Philosophie, à la Poésie pure, qu’il appartient d’aller plus loin que la vie, au delà des temps, jusqu’à l’éternité.

Dans ces dernières années (et c’est peut-être une suite de nos mouvements politiques), l’Art s’est empreint d’histoire plus fortement que jamais. Nous avons tous les yeux attachés sur nos Chroniques, comme si, parvenus à la virilité en marchant vers de plus grandes choses, nous nous arrêtions un moment pour nous rendre compte de notre jeunesse et de ses erreurs. Il a donc fallu doubler l’INTÉRÊT en y ajoutant le SOUVENIR.

Comme la France allait plus loin que les autres nations dans cet amour des faits et que j’avais choisi une époque récente et connue, je crus aussi ne pas devoir imiter les étrangers, qui, dans leurs tableaux, montrent à peine à l’horizon les hommes dominants de leur histoire ; je plaçai les nôtres sur le devant de la scène, je les fis principaux acteurs de cette tragédie dans laquelle j’avais dessein de peindre les trois sortes d’ambition qui nous peuvent remuer, et, à côté d’elles, la beauté du sacrifice de soi-même à une généreuse pensée. Un traité sur la chute de la féodalité, sur la position extérieure et intérieure de la France au XVIIe siècle, sur la question des alliances avec les armes étrangères, sur la justice aux mains des parlements ou des commissions secrètes et sur les accusations de sorcellerie, n’eût pas été lu peut-être ; le roman le fut.

Je n’ai point dessein de défendre ce dernier système de composition plus historique, convaincu que le germe de la grandeur d’une œuvre est dans l’ensemble des idées et des sentiments d’un homme et non pas dans le genre qui leur sert de forme. Le choix de telle époque nécessitera cette MANIÈRE, telle autre la devra

repousser; ce sont là des secrets du travail de la pensée qu’il n’importe point de faire connaître. A quoi bon qu’une théorie nous apprenne pourquoi nous sommes charmés? Nous entendons les sons de la harpe; mais sa forme élégante nous cache les ressorts de fer. Cependant, puisqu’il m’est prouvé que ce livre a en lui quelque vitalité

toutes les figures principales d’un siècle, et, pour donner plus d’ensemble à leurs actions, de faire céder parfois la réalité des faits à l’IDÉE que chacun d’eux doit représenter aux yeux de la postérité ; enfin sur la différence que je vois entre la VÉRITÉ de l’Art et le VRAI du Fait.

De même que l’on descend dans sa conscience pour juger des actions qui sont douteuses pour l’esprit, ne pourrions-nous pas aussi chercher en nous-mêmes le sentiment primitif qui donne naissance aux formes de la pensée, toujours indécises et flottantes ? Nous trouverions dans notre cœur plein de trouble, où rien n’est d’accord, deux besoins qui semblent opposés, mais qui se confondent, à mon sens, dans une source commune ; l’un est l’amour du VRAI, l’autre l’amour du FABULEUX. Le jour où l’homme a raconté sa vie à l’homme, l’Histoire est née. Mais à quoi bon la mémoire des faits véritables, si ce n’est à servir d’exemple de bien ou de mal ? Or les exemples que présente la succession lente des événements sont épars et incomplets ; il leur manque toujours un enchaînement palpable et visible, qui puisse amener sans divergence à une conclusion morale ; les actes de la famille humaine sur le théâtre du monde ont sans doute un ensemble, mais le sens de cette vaste tragédie qu’elle y joue ne sera visible qu’à l’œil de Dieu, jusqu’au dénoûment qui le révélera peut-être au dernier homme. Toutes les philo- sophies se sont en vain épuisées à l’expliquer, roulant sans cesse leur rocher, qui n’arrive jamais et retombe sur elles, chacune élevant son frêle édifice sur la ruine des autres et le voyant crouler à son tour. Il me semble donc que l’homme, après avoir satisfait à cette première curiosité des faits, désira quelque chose de plus complet, quelque groupe, quelque réduction à sa portée et à son usage des anneaux de cette vaste chaîne d’événements que sa vue ne pouvait embrasser; car il voulait aussi trouver, dans les récits, des exemples qui pussent servir aux vérités morales dont il avait la conscience ; peu de destinées particulières suffisaient à ce désir, n’étant que les parties incomplètes du TOUT insaisissable de l’histoire du monde ; l’une était pour ; dire un quart, l’autre une moitié de preuve ; l’imagination fit le reste et les compléta. De là, sans doute, sortit la fable. - L’homme la créa vraie, parce qu’il ne lui est pas donné de voir autre chose que lui-même et la nature qui l’entoure ; mais il la créa VRAIE d’une VÉRITÉ toute particulière.

Cette VÉRITÉ toute belle, tout intellectuelle, que je sens, que je vois et voudrais définir, dont j’ose ici distinguer le nom de celui du VRAI, pour me mieux faire entendre, est comme l’âme de tous les arts. C’est un choix du signe caractéristique dans toutes les beautés et toutes les grandeurs du VRAI visible ; mais ce n’est pas lui-même, c’est mieux que lui; c’est un ensemble idéal de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un élixir délicieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus mélodieux; enfin c’est une somme complète de toutes se leurs. A cette seule VÉRITÉ doivent prétendre les œuvres de l’Art qui sont une représentation morale de la vie, les œuvres dramatiques. Pour l’atteindre, il faut sans doute commencer par connaître tout le VRAI de chaque siècle, être imbu profondément de son ensemble et de ses détails ; ce n’est là qu’un pauvre mérite d’attention, de patience et de mémoire ; mais ensuite il faut choisir et grouper autour d’un centre inventé : c’est là l’œuvre de l’imagination et de ce grand BON SENS qui est le génie lui-même.

A quoi bon les Arts s’ils n’étaient que le redoublement et la contre-épreuve de l’existence? Eh! bon Dieu, nous ne voyons que trop autour de nous la triste et désenchanteresse réalité : la tiédeur insupportable des demi-caractères, des ébauches de vertus et de vices, des amours irrésolus, des haines mitigées, des amitiés tremblotantes, des doctrines variables, des fidélités qui ont leur hausse et leur baisse, des opinions qui s’évaporent; laissez-nous rêver que parfois ont paru des hommes plus forts et plus grands, qui furent des bons ou des méchants plus résolus ; cela fait du bien. Si la pâleur de votre VRAI nous poursuit dans l’Art, nous fermerons ensemble le théâtre et le livre pour ne pas le rencontrer deux fois. Ce que l’on veut des œuvres qui font mouvoir des fantômes d’hommes, c’est, je le répète, le spectacle philosophique de l’homme profondément travaillé par les passions de son caractère et de son temps ; c’est donc la VÉRITÉ, de cet homme et de ce TEMPS, mais tous deux élevés à une puissance supérieure et idéale qui en concentre toutes les forces. On la reconnaît, cette VÉRITÉ, dans les œuvres de la pensée, comme l’on se récrie sur la ressemblance d’un portrait dont on n’a jamais vu l’original ; car un beau talent peint la vie plus encore que le vivant.

Pour achever de dissiper sur ce point les scrupules de quelques consciences littérairement timorées que j’ai vues saisies d’un trouble tout particulier en considérant la hardiesse avec laquelle l’imagination se jouait des personnages les plus graves qui aient jamais eu vie, je me hasarderai jusqu’à avancer que, non dans son entier, je ne l’oserais dire, mais dans beaucoup de ses pages qui ne sont peut-être pas les moins belles, L’HISTOIRE EST UN ROMAN DONT LE PEUPLE EST L’AUTEUR. - L’esprit humain ne me semble se soucier du VRAI que dans le caractère général d’une époque ; ce qui lui importe surtout, c’est la masse des événements et les grands pas de l’humanité qui emportent les individus ; mais, indifférent sur les détails, il les aime moins réels que beaux, ou plutôt grands et complets.

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