Франція. Les trois nuits de fer

 

Knut Hamsun

Les trois nuits de fer

 

Nuits de gelée du mois d’août.

À neuf heures, coucher du soleil. Une mate obscurité s’épand sur la terre, quelques étoiles piquent le ciel, et deux heures plus tard on perçoit la lueur de la lune. Je parcours la forêt, mon fusil en bandoulière, suivi de mon chien. J’allume un feu dont la lumière se faufile à travers les branches des pins. Il ne fait pas froid.

C’est la première nuit de fer ! me dis-je. L’heure et l’endroit me remplissent d’une joie troublante étrangement.

Un toast, hommes et bêtes, et vous oiseaux, un toast à la nuit silencieuse dans la forêt, dans la forêt !

Un toast aux ténèbres, et aux voix des dieux parmi les arbres, un toast aux sereines et simples délices du grand silence qui caresse mes oreilles, un toast aux feuilles vertes et aux feuilles jaunes.

Buvons aux bruits de la vie, j’entends un

halètement de museau, un chien qui flaire la terre.

-          Un joyeux toast au chat sauvage qui rampe et se dispose à bondir sur un moineau dans l’ombre, dans l’ombre ! Un toast au charitable apaisement du royaume terrestre, aux étoiles et à la demi- lune, oui aux étoiles et à la demi-lune !

Je me lève et j’écoute. Personne ne m’a entendu. Je me rassieds.

Merci à la nuit silencieuse. Merci à la nuit de paix, aux montagnes et aux bruissements de la mer qui parviennent jusqu’à mon cœur. Merci à ma vie, à mon souffle, pour la grâce de vivre cette nuit, oh ! je vous remercie de tout mon être.

-          Ecoutez à l’est et à l’ouest, écoutez donc, c’est le Dieu éternel. Cette paix si douce qui se jette contre mes oreilles, c’est le sang de la nature qui bout, Dieu alliant mon existence à celle de l’univers. - Un filet de la lumière de mon feu brille à mes regards, j’entends les rames d’un bateau frapper l’eau du port, une aurore boréale glisse du ciel vers le nord. Oh ! par mon âme immortelle, je remercie aussi, car c’est moi, bien moi que voilà assis en ce lieu.

Silence. Un cône de pin tombe lourdement sur le sol. Un cône de pin vient de tomber, pensé-je. La lune est haute, le feu se communique aux branches à demi consumées et veut s’étendre plus loin. Or à une heure avancée de la nuit je rentre chez moi.

La deuxième nuit de fer. Même tranquillité et temps serein. Mon esprit spécule ; mécaniquement je me dirige vers un arbre, enfonce ma casquette sur mes yeux et m’adosse au tronc, les mains croisées derrière la nuque. Je regarde fixement et je songe ; les flammes de mon foyer m’éblouissent, et je n’éprouve rien. Durant plus d’une heure je m’immobilise en la même pose absurde, et je regarde le feu ; mes jambes me font défaut et sont lasses ; tout engourdi je m’assieds à même le sol. À présent seulement je réfléchis à ce que j’ai fait. Pourquoi donc regarder la flamme aussi fixement ?

Esope, mon chien, dresse la tête, aux écoutes : il entend un pas. Eva se montre un instant après.

« Je suis pensif et triste et noir », dis-je. Et elle ne me répond rien, en sympathie.

« Il y a trois choses aimées pour moi : j’aime le rêve d’amour que je fis une fois, je t’aime, Eva, et j’aime ce coin de terre.

-          Et qu’aimes-tu le plus ?

-          Le rêve. »

Le silence s’étend de nouveau. Esope connaît

Eva et place sa tête à côté d’elle, il la regarde.

Je murmure :

« Aujourd’hui, j’ai rencontré une fille sur le chemin, elle donnait le bras à son amoureux. La fille me désigna des yeux et eut peine de se retenir de rire quand je passai.

-          De quoi a-t-elle ri ? demanda Eva.

-          Je l’ignore. Sans doute elle a ri de moi. Pourquoi me demandes-tu cela ?

-          La connaissais-tu ?

-          Oui, je l’ai saluée.

-          Et elle ne te connaissait pas ?

-          Non, mais pourquoi me questionner ainsi ? C’est mal de ta part. Tu ne me feras pas dire son nom. »

Pause.

Je murmure de nouveau :

« Qu’est-ce qui a pu la faire rire ? C’est une coquette, mais de quoi a-t-elle ri ? Au nom du ciel, que lui ai-je fait ? »

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Eva répond :

« C’est mal à elle de s’être moquée de toi...

-          Non, ce n’était pas mal de sa part ! m’écriai- je. Tu n’as pas à la blâmer, il n’y a rien là de méchant, elle a bien fait de rire de moi. Tais-toi, à la fin, diable ! et laisse-moi tranquille, entends- tu ?... »

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Alors, Eva se tait, me laissant tout effarouché. Je jette un regard sur elle, et incontinent je me repens de mes dures paroles. Je tombe devant elle en me tordant les mains.

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« Retourne à la maison, Eva, c’est toi que j’aime le plus. Comment pourrais-je aimer un rêve ? J’ai dit une simple plaisanterie. C’est toi que j’aime. Mais rentre, maintenant. J’irai demain auprès de toi, souviens-t’en, je suis à toi, oui, ne l’oublie pas. Bonne nuit. »

Et Eva est partie.

*

La troisième nuit de fer, nuit d’extrême anxiété. Encore s’il avait fait un peu froid ! Mais non, - une accablante chaleur après le soleil de la journée ; la nuit semblait un marais tiède. J’arrangeai mon feu...

« Eva, il peut parfois y avoir quelque jouissance à être tiré par les cheveux. L’esprit d’un homme peut être tortu. C’est ainsi qu’on peut être traîné par les cheveux au fond des vallées, ou au sommet des monts, et, si, par aventure, quelqu’un demande ce qu’il arrive, on peut répondre, tout à fait enchanté : Je suis tiré par les cheveux ! Et si le quelqu’un demande :

Mais, ne puis-je vous secourir, vous délivrer ? on répond : Non. Et si on vous demande : Mais pouvez-vous l’endurer ? on répond alors : Oui, je l’endure, car j’aime la main qui me tire... Sais-tu,

Eva, ce que c’est qu’espérer ?

-          Oui, j’imagine le savoir.

-          Vois-tu, Eva, espérer c’est une chose bizarre, oui, une chose singulière. Un matin, on peut passer par un chemin, et espérer rencontrer sur ce chemin une personne chère. Or, rencontre- t-on cette personne ? Non. Pourquoi pas ? Parce qu’elle est occupée ce matin-là, et se trouve dans un tout autre endroit. J’ai connu dans les montagnes un vieux Lapon aveugle. Depuis cinquante-huit ans il ne voyait rien, et il avait alors plus de soixante-dix ans. Il s’imaginait qu’il recouvrait peu à peu la vue, et que, si rien n’advenait de fâcheux, il pourrait apercevoir de nouveau le soleil dans quelques années. Ses cheveux étaient encore noirs, mais ses yeux étaient entièrement blancs. Assis sous sa tente, nous fumions ; et il racontait tout ce qu’il avait vu avant de devenir aveugle. Il était endurant et robuste, sans sensibilité et d’une santé de fer. Son espérance le soutenait. Quand je devais partir, il me suivait dehors, et commençait par me montrer du doigt différentes directions. De ce côté est le sud, là est le nord ; tu vas d’abord par là, et, une fois que tu as descendu un certain temps, tu tournes ainsi... C’est parfaitement juste ! répondais-je. Et le Lapon riait alors en ajoutant : Eh bien, voilà ce que je ne savais pas il y a quarante ou cinquante ans, je vois donc plus clair maintenant que dans le temps, cela s’améliore toujours. Puis il se taisait et rentrait, en rampant, sous sa tente, l’éternelle tente, sa maison sur la terre. Il se mettait devant le feu, comme auparavant, rempli de l’espérance que, dans quelques années, il pourrait derechef voir le soleil... Eva, c’est chose fort bizarre que l’espérance. Je me prends à espérer actuellement oublier la personne que j’ai rencontrée ce matin sur le chemin.

-          Tu parles si étrangement.

-          C’est la troisième nuit de fer. Je te promets Eva d’être un autre homme demain. Laisse-moi

seul maintenant. Tu ne me reconnaîtras pas demain quand je viendrai ; je rirai et t’embrasserai, ma chérie. Songe, un peu, qu’il n’y a plus qu’une nuit ; dans quelques heures je serai devenu un autre homme. Bonne nuit, Eva.

-          Bonne nuit. »

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