Франція. Contes fantastiques III

 

E. T. A. Hoffmann

Contes fantastiques III

 

-          La charmante Rosa, dans tout l’éclat de la grâce et de la beauté, brillante d’attraits, assise entre ces deux beaux jeunes hommes, au milieu de tous ces vieux maîtres barbus, c’était un tableau ravissant à contempler ; on était tenté de les comparer tous les trois à un nuage blanc et brillants sur un ciel sombre, ou à trois beaux arbustes chargés de fleurs, qui élèvent leurs têtes éclatantes au-dessus d’un gazon pâle et desséché. Frédéric pouvait à peine respirer, tant il éprouvait de joie et de bonheur ; ce n’était qu’à la dérobée qu’il se hasardait à lancer un regard sur celle qui remplissait son âme. Ses yeux étaient fixés sur son assiette, comme s’il lui eût été impossible d’y toucher. Pour Reinhold, ses yeux, d’où s’échappaient des regards étincelants, se portaient sans cesse sur la charmante vierge, et il commença à raconter ses longs voyages d’une façon si merveilleuse que jamais Rosa n’avait ouï un tel langage. Il lui semblait que tout ce dont

parlait Reinhold se levât vivant devant elle, au milieu de figures sans cesse changeantes. Elle était tout yeux, tout oreilles, et elle ne savait ce qui se passait en elle, lorsque Reinhold, dans le feu de son discours, prenait sa main et la pressait avec ardeur. - Mais, Frédéric, dit Reinhold, en s’interrompant tout à coup, pourquoi restes-tu donc ainsi muet et immobile ? As-tu perdu l’usage de la parole ? Allons, trinquons à la santé de la chère et belle demoiselle qui nous traite si bien.

Frédéric saisit d’une main tremblante le grand verre que Reinhold avait rempli jusqu’aux bords, et celui-ci le força de vider jusqu’à la dernière goutte. - Maintenant, à la santé de notre brave maître ! s’écria Reinhold ; et il remplit de nouveau le verre de Frédéric, qui fut une seconde fois forcé de le vider. Alors, les esprits fumeux du vin montèrent à son cerveau, et agitèrent son sang paisible qui circula en bouillonnant dans toutes ses veines. - Ah ! j’éprouve un bien-être inexprimable, murmura-t-il en rougissant ; jamais je n’ai éprouvé autant de bonheur. - Rosa, qui interprétait sans doute ses paroles autrement, lui

souriait avec douceur. - Chère Rosa, dit Frédéric, enfin débarrassé de toute retenue ; ne vous souvenez-vous donc plus du tout de moi ? - Eh ! mon cher Frédéric ! répondit Rosa les yeux baissés, comment serait-il possible que je vous eusse oublié en si peu de temps ? Chez le vieux Holzschuer... Dans ce temps-là j’étais encore une enfant, et vous ne dédaigniez pas de jouer avec moi, et vous saviez toujours inventer quelque joli jeu. J’ai encore la charmante petite corbeille en filigranes d’argent, dont vous me fîtes présent à Noël, et je la conserve soigneusement comme un précieux souvenir.

Des larmes brillèrent dans les regards radieux du jeune compagnon, il voulut parler, mais ses paroles ne s’échappèrent de sa poitrine qu’en sons inarticulés, et faibles comme des soupirs : -

O Rosa... chère... Rosa... - J’ai toujours désiré sincèrement de vous revoir, reprit Rosa, mais je n’aurais jamais pensé que vous deviendriez un jour un tonnelier. Ah ! quand je pense aux belles choses que vous faisiez autrefois chez maître Holzschuer ; c’est cependant dommage que vous ne soyez pas resté artiste. - Ah ! Rosa, dit Frédéric, ce n’est que pour vous que j’ai renoncé à la profession chérie.

A peine Frédéric eut-il prononcé ces mots, qu’il eût voulu s’abîmer dans le sein de la terre pour cacher sa frayeur et sa honte. L’aveu était venu malgré lui sur ses lèvres. Rosa détourna le visage, et Frédéric chercha en vain des paroles pour s’excuser. En ce moment, messire Paumgartner frappa à plusieurs reprises sur la table, avec le manche de son couteau, et annonça à la société que messire Vollrad, digne maître chanteur, allait commencer une chanson. Messire Vollrad se leva aussitôt, et chanta une belle chanson sur la mode de Hans Vogelgesang , qui réjouit grandement l’assistance, et fit sortir Frédéric lui-même de sa sombre rêverie. Après que maître Vollrad eut chanté encore plusieurs chansons sur d’autres modes agréables, tels que le mode paradisien, le mode orangé et d’autres, il Jean à la voix de rossignol, surnom d’un maître chanteur de l’époque, dont le rythme se nommait le mode doré; le rythme de chaque maître chanteur portait une désignation bizarre. Le Tr. se prit à dire que s’il se trouvait à la table quelqu’un exercé dans l’art divin des maîtres chanteurs, il attendait qu’on lui ferait entendre d’autres chansons. Reinhold se leva, et dit que s’il était permis de s’accompagner du luth à la manière d’Italie, il essaierait de répondre à cet appel. Personne ne s’y opposant, il alla chercher son instrument, et après avoir légèrement préludé, il chanta la chanson suivante :

Avez-vous vu la source D’où coule Un vin généreux ?

Sous un bois arrondi On l’entend murmurer ; Son parfum, son bouquet, Se répandent à la ronde. Qui l’a conservé ?

Quelle main habile,

Sous les cercles mobiles,

A renfermé ses esprits ? C’est un tonnelier ! Joyeux compagnon, Habile dans son art, Ami du bon vin Qu’il loge si bien.

Ecoutez murmurer Dans le verre,

Ce vin pétillant :

Il chante la louange Du bon tonnelier Qui l’a conservé.

Cette chanson fit un plaisir extrême à l’assemblée, et particulièrement à maître Martin dont les yeux brillaient de joie et de plaisir ; sans faire attention à Vollrad, qui s’étendait longuement sur la manière de Hans Muller, que, disait-il, le compagnon avait fort bien imitée, maître Martin se leva de sa place, et s’écria en

agitant le grand verre qui servait à boire à la ronde : Viens ici, mon brave tonnelier et maître chanteur, viens ici ; tu videras ce verre avec ton maître !

Reinhold obéit. En revenant à sa place, il dit bas à l’oreille de Frédéric qui rêvait profondément : - Chante maintenant ta chanson d’hier soir. - Y songes-tu ! répondit Frédéric tout irrité.

Mais Reinhold s’adressant à l’assemblée : -Mes vénérables sires et maîtres ! dit-il. Voici mon cher frère Frédéric qui sait un grand nombre des plus belles chansons, et qui a une voix plus agréable que la mienne ; mais son gosier est encore desséché par la poussière de la route, et il vous servira son talent une autre fois !

On se mit alors à louer Frédéric de toutes parts, comme s’il eût déjà chanté. Plusieurs maîtres prétendirent même, que sa voix était en effet plus agréable que celle du compagnon Reinhold, et Vollrad, après avoir vidé un plein verre, soutint gravement que Frédéric imitait mieux les beaux modes allemands que Reinhold,

dont le chant était trop italien. Mais maître Martin rejeta sa tête en arrière, se frappa son gros ventre à le faire retentir, et s’écria : Ce sont mes compagnons. Je dis mes compagnons ! les compagnons de Tobias Martin, maître tonnelier à Nuremberg. Et tous les maîtres baissèrent la tête en signe d’assentiment, et dirent en faisant tomber les dernières gouttes de leurs grands verres : - Oui, ce sont de braves compagnons, maître Martin !

Chacun alla enfin prendre du repos. Maître Martin fit donner à chacun des deux nouveaux venus, une belle chambre dans sa maison.

VII

Comment un troisième compagnon se présenta dans la maison de maître Martin, et ce qui en advint.

Lorsque les deux compagnons, Frédéric et Reinhold eurent travaillé quelque temps dans

l’atelier de maître Martin, celui-ci remarqua que, pour ce qui concernait les proportions, les courbures et les cercles, Reinhold n’avait pas son égal ; mais il n’en était pas ainsi quand il s’agissait de travailler sur l’établi, manier la hache ou le maillet ; Reinhold se fatiguait alors presque aussitôt, tandis que Frédéric rabotait et cognait au contraire sans se lasser. Mais ce qu’ils avaient de commun l’un avec l’autre, c’était une conduite honnête, une gaieté constante et une humeur aimable. En outre, ils n’épargnaient pas leur gosier, tout en travaillant, surtout en présence de la belle Rosa ; et leurs voix, qui s’accordaient très bien ensemble, formaient des concerts fort harmonieux. Quelquefois, lorsque Frédéric jetait un regard langoureux sur Rosa, il penchait à tomber dans un mode languissant ; mais Reinhold entonnait aussitôt une chanson comique qu’il avait composée, et qui commençait ainsi :

La tonne n’est pas la lyre,

La lyre n’est pas la tonne.

Maître Martin laissait alors retomber le maillet qu’il venait de lover pour enfoncer un cercle, afin de se tenir le ventre, tant il étouffait de rire. En général, les deux compagnons, Reinhold surtout, s’étaient insinués dans les bonnes grâces de maître Martin, et il était facile de voir que Rosa cherchait maint prétexte pour se montrer plus souvent dans l’atelier et y rester plus longtemps qu’autrefois.

Un jour, maître Martin entra, tout pensif, dans son atelier de la porte des Femmes, où l’on travaillait durant l’été. Reinhold et Frédéric venaient de monter un petit tonneau. Maître Martin se plaça devant eux, les bras croisés, et dit : - Je ne saurais vous dire combien je suis content de vous, mes chers enfants, mais je me trouve dans un grand embarras. Ils écrivent du Rhin que la présente année sera encore plus bénie que toutes les autres, quant à ce qui concerne la vigne. Un savant a annoncé que la comète, qui se montre au ciel, fertilisera la terre de ses rayons merveilleux. Toute la sève qu’elle renferme, et

dont l’ardeur durcit dans son sein les métaux, affluera à sa surface et se répandra dans les ceps altérés qui s’enlaceront dans leur ardeur, et engendreront des milliers de grappes pleines de ce feu liquide dont la vigne aura été arrosée. Ce n’est, ajouta-t-il, que dans trois cents ans qu’on reverra une semblable constellation. - Il y aura donc du travail par-dessus la tête. Et en outre, voilà que le très digne évêque de Bamberg m’écrit et me commande une grande tonne : nous ne suffirons jamais à tout cela, et il faut que je me pourvoie d’un vigoureux compagnon. Mais je ne voudrais pas prendre le premier qui se trouvera dans la rue, et cependant j’ai le feu sous les ongles ; si vous connaissez un brave compagnon que vous verriez avec plaisir entre vous, nommez-le moi ; je le ferai venir, dût-il m’en coûter une somme ronde.

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